Comme glissés de l’arbre sec
trois feuillets surs
pris dans l’espace de « recherches »
barre blanchie, artificielle,
où l’histoire tarde à passer.

-Rien à voir-
Mais forcer le regard
Au-delà de l’être.

Odyssée ordinaire
à rebours d’Ithaque
songe de Calypso, 
captivante, [m]éprise 
de liberté
au clos de ses rives
sereines, si douces !, 
écrin fragile de beauté.

Et laisser l’encre
bien fichée
se couler froide
où sans retour
les mots 
par-dessus bord 
se parent de murs,
vibrant encore

En traces du passé

14 janvier 2019

Avancer
Rouler 
Vers le Nord
Ses bosses
Bleues
De questions 
Confuses
Mais la Lune
Certitude ronde
À peine voilée
Fière pudeur
Réponse 
Assurée 
Au déclin doré
Du soleil
Lune d’automne @Maude Corrieras

Ne pas lâcher l’aurore,
frémissement du monde,
Ne rien perdre du temps
qui passe
comme ces révolutions silencieuses
au besoin de volcan,
laissées là par dépit,
rangées, assagies même,
dans le tiroir de l’être,
en guise de ressort.

Aspirations rouillées
pourtant sur le qui-vive,
soupçon contre la mort,
battements arthritiques,
au ralenti, mais souffle d’encore,
comme la voile frisson de vent nouveau
même déserte d’accalmie.


(24 Janvier 2018)

Étincelle de deux mots arrachés en copeaux – couvrant soudain de plumes la plaine du silence –
Aveu discret en quart de mots de peur de s’épandre trop loin, de s’éprendre, peut-être, de ce rai de lumière – à en changer l’éclat.

La correspondance de Gustave Flaubert, mais elle n’est pas la seule, fait incontestablement partie des plus belles de la littérature française, si l’on y cherche l’homme dans sa relation au monde et au coeur de ses préoccupations personnelles, des plus banales aux plus proprement littéraires. L’extraordinaire foisonnement de missives témoigne de la vitalité de l’homme, de sa soif d’échanges et d’attentions humaines, de son implic dans une implication dans une vie, une époque, au risque de désespoir et de tentation à l' »ourserie », comme il le signale dans une lettre à Maurice Schlésinger citée précédemment (24 novembre 1853).

Quelle distinction entre celui qui noircit sa page blanche de mots polis, de phrases construites, travaillées pour être belles jusqu’au bout de la voix, même « gueulées » au fond d’un isoloir, qui veille à faire apparaître un style en gommant le travail sans relâche de l’écrivain, pour que les lecteurs se plaisent à habiter le lieu du conte, du roman, de l’histoire que l’on crée, et celui-là -le même pourtant!, et pourtant bien autre…- qui laisse s’écouler l’encre de son cœur, qui se livre, qui lâche son style pour critiquer sans concessions, montrer les impatiences de l’homme, faire aveu de sentiments, de faiblesses, de peurs même, auprès de destinataires choisis?

Si la correspondance s’illustre de toute évidence moins pour la beauté ciselée du style, elle est d’une beauté rare, émouvante, car elle nous ramène à l’homme, au plus près de lui. Jamais nous ne saurions être plus près d’un autre que dans cet intime lien où se dénoue, au moins un peu, l’opacité si terrible des êtres.

On répondra que la vie privée d’un homme, d’un grand homme, n’a que peu d’importance au regard de son oeuvre.

Victoire de l’oeuvre sur l’homme, qui biaise le temps humain, refuse la mort avec panache et entre dans ce que Hannah Arendt désignait comme « le monde  » – ce monde humain où l’homme s’inscrit dans la durée et où la culture, reine, tisse le lien fondamental entre le passé et le futur, entre les hommes d’hier et ceux de demain.

Victoire du monde sur la vie, lieu des besoins, de la finitude, de l’homo laborans voué à travailler à la sueur de son front pour continuer de vivre une vie « pénible et passagère  » pour parler comme Voltaire, livrable à la mort au jour précis de sa naissance.

Victoire du romancier Flaubert, grand classique de la littérature inscrit à l’étude au lycée, maître immortel de la plume.

Et pourtant, il y a dans sa correspondance des lignes sans prix, trempées dans ce sang anatomique, qui donnent corps et profondeur à l’homme, Gustave, et au-delà à l’homme lui-même.

De quoi parlent ces lettres? D’amour, bien entendu, d’humeur, du temps, de l’époque contemporaine à l’auteur, de littérature. On y croise d’autres hommes, sous un oeil prompt à nous faire relativiser toute idéalisation des grands hommes, dussent-ils susciter notre plus grande admiration historique ou littéraire. Ainsi ces lettres s’adressent-elles à nous, dans notre propre rapport à la vie, dans nos relations sociales, sentimentales, dans nos emportements, nos jugements sur l’époque que nous vivons et sur ce fameux « C’était mieux, avant! » qui interroge sur l’histoire, les cycles, le « progrès « … les hommes. Nous.

Éclat vif de bleu
tombé de rayons sûrs
où s’infiltre un jour sage,
où s’est tapie la nuit,
qui ne dort pas,
(faire fi des apparences)
mais pense, se pense et se pose
loin des faux réverbères
et des folles étoiles,
serrée en point de fuite
pour troubler les regards
– elle songe, peut-être,
aux étoles de Soulages,
ou à ce puits sans fond,
redoutable miroir…

Éclat vif de bleu
comme une arme affûtée
qui affirme, qui ne doute,
où se mange la vie
comme on croque les mots :
Pour savoir.
Par saveur.
Par plaisir.
Pour, enfin,
Pouvoir dire,
et, niant l’impossible,
tenter même de se dire,
dans un rire confus,
dans l’in-su des non-dits,
où s’engouffre une bise
contre-courant de soi.
Éclat vif du vent.

29 Décembre 2017




J’ai cueilli ton regard sur le monde
comme on s’incline un peu
pour en saisir l’ampleur,
ou plutôt la lumière,
sans questionner
jamais
ce qui s’y attachait.

Et je l’ai embrassé.
Avec simplicité –
Naïveté peut-être?-
Comme une chance offerte
de vivre la réalité
-augmentée de la tienne.

Ô oui j’ai cru en toi
comme l’évidence même
où jaillit la gaieté
sur un visage éteint
qui s’irrigue soudain d’éclats insoupçonnés –
en miroir impromptu du murmure de la vie,

avec cette certitude de l’aube qui se faufile encore,
jalouse de sa promesse tue, in-sue,
lorsque tout dort,
tendrement,
avec la détermination douce
et sûre
d’un Sisyphe
étonnamment heureux

Mais qui pourrait bien croire
au sourd retrait du jour,
alors qu’il n’est pas l’heure,
ou à l’insinuation obstinément sèche
d’un été écrasant
qui affaisserait
tout
par excès de chaleur
– ou lassitude, peut-être, face au chant
pourtant imperturbable des cigales
qui se donnent sans faillir,
tout entières,
au bonheur monocorde de soirées septentrionales-,
et déserterait les yeux
et déviderait les corps
les ensablerait
comme le temps
qui s’effrite
et s’efface
en une morne
torpeur ?

Faisons donc fi des mots
rongeurs d’encre
incapables de concorde
même lorsqu’ils sourdent d’une main connue,
ou inconnue, -cela m’échappe-,
on ne sait qui se cache,
ni s’il faut sauver les apparences,
les phénomènes,
l’ignorance domine,
mais des traces de passage
où se figent des émotions
ne peuvent être vivantes.

Doute radical,
s’éprouve la vérité.

 


(28 juin 2017)

 

« Le goût que nous avons pour les choses de l’esprit s’accompagne nécessairement d’une curiosité passionnée des circonstances de leur formation. Plus nous chérissons quelque créature de l’art, plus nous désirons d’en connaître les origines, les prémisses et le berceau. » Paul Valéry, Lettre  à Jacques Doucet, Juillet 1922

Les manuscrits sont à prendre comme ces petites choses précieuses qui évoquent les balbutiements. Non pas, pourtant, l’informe : déjà plutôt des étincelles saisies par et
dans le geste d’écriture, qui affirme leur existence dans le tracé. Avançant de page en page, elles se font lumière dans des tourbillons d’encre, obligeant à des retours en arrière, à des biffures rageuses sur ce qui aurait pu naître et ne sera jamais ailleurs que dans cette tentative de dire, qu’on ne trouve authentiquement que dans les manuscrits autographes.

Les manuscrits littéraires, puisqu’il s’agit ici de ceux-là, les « brouillons », en somme, papiers privés, manuscrits de travail, sont les véritables témoins de l’acte créateur, qui fait passer à l’écrit des productions invisibles de l’esprit. Ils sont les seuls, avec la correspondance privée, à montrer l’écrivain à l’œuvre, en proie à ses doutes, à ses démons, à ses recherches : en proie à lui-même dans l’exercice difficile de l’exposition de soi au monde que constitue l’écriture destinée à être lue d’un grand public.

L’ « avant texte » nous plonge dans l’espace le plus intime de l’écrivain. Il illustre pleinement ces « bouts d’existence » que René Char attribuait aux poèmes. Il ne s’agit pas d’œuvre aboutie, dans ces manuscrits, mais de l’avant du poème, du roman, de la pièce de théâtre. Un cabinet de travail, en somme. Mais d’un travail si particulier qu’il saisit l’homme tout entier qui s’y adonne : car il est nécessité non plus économique, mais métaphysique. Il en va de sa vie, parfois.

Cela est bien entendu très présent dans la correspondance, où s’illustre parfaitement bien ce propos de Victor Hugo dans sa Préface à un Choix moral de lettres de Voltaire, paru en 1824 : « C’est toujours dans les lettres d’un homme qu’il faut chercher plus que dans tous les autres ouvrages l’empreinte de son cœur et la trace de sa vie. »

Au final, si tous ces manuscrits, autographes, lettres, renvoient à cette question obsédante unique : « qu’est-ce qu’écrire ? », ils renvoient aussi, et surtout, comme la correspondance, à l’histoire singulière et touchante d’un homme qui crée, qui ne se contente pas d’être homo faber mais qui, acceptant de se plier à un travail qui a vocation à disparaître dans son œuvre achevée, devient véritablement créateur. On comprend alors comment Walter Benjamin avait pu dit que l’œuvre accomplie était le « masque mortuaire de la conception », ou encore que « les œuvres achevées ont pour les grands hommes moins de poids que ces fragments sur lesquels leur travail dure toute la vie.
Car seul un homme plus faible, plus distrait, peut prendre un plaisir incomparable à conclure et ainsi se sentir à nouveau rendu à sa vie. Pour le génie, toute espèce de césure, les coups du destin comme la douceur du sommeil, tombe dans le labeur assidu de son atelier même. Et c’est l’emprise magique de celui-ci qu’il définit dans le fragment. “Le génie est un labeur assidu” ( Walter Benjamin, Sens Unique précédé de Une enfance berlinoise et suivi de Paysages Urbains, éd. Maurice Nadeau, 1998, p.143)

Ce n’est donc pas un morceau de papier mort que l’on tient entre les mains lorsque l’on dispose d’un manuscrit autographe, ou d’une lettre, mais la présence d’une vie qui palpite encore à travers l’écriture, alors qu’elle n’est plus.

En cela, ce papier est précieux et est un « objet » légitime de bibliophilie.

NB  En photo, une page d’ébauche de Madame Bovary, de Gustave Flaubert, avant l’écriture du manuscrit définitif.

Ce texte est une reprise légèrement modifiée de ma Préface à l’édition de « Petits propos d’écriture », de Florian Balduc, Ipagine, 2015.